Ouvéa et la morale
Le film de Mathieu Kassovitz, les deux ouvrages de Philippe
Legorjus ont pour point commun de faire appel à la morale : L’ordre et la morale (sortie le 16 novembre) pour le long-métrage, la morale et l’action (Fixot
1990) et Ouvéa, la République et la morale (Plon 2011) pour les ouvrages de l’ex
commandant du GIGN.
Quelles que soient leurs motivations, on ne peut s’empêcher de
relier ces titres. Traiter de la morale est un dessein ambitieux : rendre
compte de ses valeurs à autrui ou réfléchir avec autrui sur des valeurs
communes. Ces deux hommes se sont choisis. Le film est tiré du premier livre de
Philippe Legorjus. Mathieu Kassovitz y a rencontré son héros. C’est ce que le
réalisateur-acteur précise dans la préface du second livre de l’ancien officier
de gendarmerie. La morale affirmée par l’un a convaincu l’autre, qui en a fait
son combat. Mais la morale n'est l'exclusivité de personne.
Le 22 avril 1988, en Nouvelle-Calédonie, à Ouvéa (Loyauté), des
indépendantistes attaquent la gendarmerie de Faya-Oué. Trois gendarmes sont
tués, un quatrième décédera, trois assaillants sont blessés. Vingt sept
gendarmes sont pris en otages et séparés en deux groupes. Les onze gendarmes
qui composaient le premier sont libérés au bout de trois jours ; il faudra
deux assauts, le 5 mai, pour libérer les autres retenus dans une grotte près de
Gossanah. Dix neuf indépendantistes sont tués ainsi que deux membres des forces
de l’ordre. Et des accusations d’exécutions sommaires -que j’évoquais en 1989
dans Opérations Victor
(Editions universelles)- sont immédiatement lancées. La loi d’amnistie, ensuite adoptée, a exonéré de poursuites les
responsables comme elle en a exempté les indépendantistes qui ont perpétré
l’attaque de la gendarmerie et les auteurs (survivants) de la tuerie et de la
prise d’otages.
Les trois événements que constituent l’attaque de la gendarmerie,
la prise d’otages et l’assaut ne peuvent être dissociés si l’on veut tenter de
saisir le comportement des différents acteurs. Mais deux points extrêmement
importants doivent également être pris en compte :
-
la
situation qui prévalait sur le territoire depuis 1945,
-
la
tension politique qui régnait en métropole au moment de la prise d’otages. Nous
nous trouvions au cœur de l’élection présidentielle, opposant un président de
la République sortant (F. Mitterrand) et son Premier ministre de cohabitation
(Jacques Chirac). La gestion et la conclusion de cette affaire, représentant un
enjeu qui a dépassé tous les acteurs sur place.
Ceux-ci furent « otages » (sans mauvais jeu de mots) de
cette échéance. Autre élément, pourquoi le FLNKS auquel on a reproché d’être
pyromane mais pas pompier, s’est-il tu ? D’où la question inévitable, négocier
rapidement mais avec qui ?
D’autant que le temps des politiques en métropole et l’affaire l’a
prouvé, n’était pas le même que le temps calédonien. Une autre interrogation se pose
immanquablement. Quel que soit le contexte, comment un Etat doit-il répondre à
une telle prise d’otages ?
Si nous en revenons à notre actualité de novembre 2011, ce film et
ces ouvrages convoquent notre raisonnement moral. MM. Kassovitz et Legorjus ont
choisi d’interpeller notre conscience. L’ex-officier de gendarmerie le fait à
partir de sa vérité. Le réalisateur en sa croyance d’une vérité. Les prises de
position de l’ex-chef du GIGN ont entrainé, depuis quelques années, des
réactions et des polémiques. Qui se sont exprimées au travers de plusieurs
ouvrages. Lui reprochant « des critiques qu’il n’avait pas
manifestées sur le terrain ou à l’issue de l’opération » et de
s’approprier « un rôle qu’il n’avait pas joué». Chacun défend ses
positions. C’est légitime. Spectateurs et lecteurs jugeront. Mais le débat est
déjà vif. Qu'en pense-t-on en Calédonie ?