Ouvéa, le témoignage inédit de Jean Bianconi (2). Les négociations
Contrairement à ce qu’affirment
Mathieu Kassovitz et Philippe Legorjus, qui s’efforcent de faire passer Bernard
Pons et le général Vidal pour des bellicistes forcenés, l’autorisation de
prendre contact avec Franck Wahuzue était aussitôt donnée à Philippe
Legorjus par Bernard Pons qui donnait également instruction au général Vidal de
suspendre momentanément les opérations d’intervention. Un hélicoptère était mis
à disposition de Legorjus pour se rendre à Lifou où il rencontrait Franck Wahuzue
qui promettait de faire de son mieux mais se montrait très réservé sur une
intervention des membres du Bureau politique du FLNKS.
Franck Wahuzue me dira plus tard
« qu’il n’avait pas eu l’autorisation de se rendre à la grotte, le Bureau
politique du FLNKS considérant que chaque comité de lutte était maître de ses
actions et décisions. »
Cette position, que j’ignorais bien
évidemment au moment où j’ai fait appel à Franck - tout comme j’ignorais que
celui-ci avait fait partie de la délégation indépendantiste chargée de repérer
les lieux quelques jours avant l’attaque de la gendarmerie -, condamnait par
avance toute possibilité pour Legorjus de libérer les otages par le dialogue et
la négociation 5...)
Parmi nos ravisseurs, si
tous regrettaient le massacre des gendarmes à Fayaoué, qu’ils n’avaient pas
voulu, ni même envisagé, beaucoup rejetaient l’idée de se rendre et d’aller en
prison - m’opposant ‘le verdict du procès de Hienghène’-, et considéraient
qu’ils n’avaient rien à attendre d’une justice aussi ‘pourrie’.
Ce blocage de la situation n’échappait
pas à Philippe Legorjus, qui, très vite conscient de l’inanité de ses efforts
et du refus du FLNKS de répondre à ses appels, me suggérait, dès notre première
rencontre à Saint Joseph, en présence du colonel Benson, peu après la menace
d’Hilaire Dianou d’exécuter Pichegru, d’introduire dans la grotte un moyen de
défense des otages.
Je repoussais tout d’abord cette
suggestion, considérant cette demande comme contraire à mon éthique de
magistrat. Ne voulant en aucun cas participer à une action de force contre les
kanaks, j’acceptais seulement de faire passer une montre et deux clefs de
menottes pour soulager les souffrances des GIGN qui étaient sévèrement menottés
et gardés au plus profond de la grotte.
Cette demande d’armer les otages était
reprise par Philippe Legorjus dans l’après-midi du 3 mai. Il me faisait valoir,
toujours en présence du colonel Benson, que j’étais le seul en mesure d’agir
pour protéger la vie des otages pendant l’assaut militaire qu’il me présentait
désormais comme inéluctable.
Je précise qu’à aucun moment Bernard Pons
ou le général Vidal ne sont intervenus dans le cours de ces discussions.
Conscient du péril encouru par les otages
en cas d’assaut de la grotte, je me résignais à cette solution tout en prenant
ma part de responsabilité et de risque, une fois l’assaut décidé, en restant à
leur côté jusqu’au bout. Fort heureusement ces deux armes servaient uniquement
à repousser les tentatives de nos ravisseurs de se saisir de comme boucliers
humains alors que nous étions réfugiés dans un coin obscur de la grotte pendant
tout le temps de l’assaut. Quatre balles sur les dix contenues dans les
barillets des deux petits révolvers étaient tirées par les deux GIGN mis en
possession de ces armes.
Sans remettre en cause la volonté sincère
de Philippe Legorjus de négocier j’ai peine à croire qu’il ait pu s’impliquer
autant dans la préparation de l’assaut de la grotte sans avoir été intimement
convaincu de la nécessité de cette intervention dont il soulignait l’urgence
une fois les armes rentrées dans la grotte.
En réalité Philippe Legorjus n’a jamais
été en mesure de résoudre la libération des otages par la négociation et il est
tout à fait faux d’énoncer, comme le fait Mathieu Kassovitz dans
l’interview qu’il donne au journal Nice-Matin, le 11 septembre 2011, que
Legorjus «croit dur comme fer qu’il va arriver à résoudre le problème par la
négociation, alors que la décision de donner l’assaut a déjà été prise, et
qu’on ne fait que l’instrumentaliser. »
Quant à la médiation Pisani, qui peut
croire un instant qu’elle aurait reçue l’accueil enthousiaste d’Alphonse Dianou
et de ses amis indépendantistes alors que celui-ci est à leurs yeux le
responsable politique de ‘l’assassinat’ d’Eloi Machoro.