Ouvéa, le témoignage inédit de Jean Bianconi (1). Le magistrat-otage


Il n'avait jamais parlé depuis 1988C'est pourtant un acteur majeur du dossier. Alors substitut du procureur de la République à Nouméa, Jean Bianconi vient à Ouvéa négocier avec Alphonse Dianou, le chef des preneurs d’otages. Il est alors retenu en compagnie du capitaine Legorjus, qui l’a accompagné et de six hommes du GIGN. Lui et l'officier joueront les émissaires et seront autorisés à sortir. C’est Jean Bianconi qui introduira dans la grotte deux petits Smith et Wesson de calibre 38 et dix balles destinées au capitaine Picon (GIGN), qui protégera ainsi lors de l'assaut les otages retranchés au fond de la grotte (voir post du 7 novembre 2011).
Après la récente sortie du film de Mathieu Kassovitz, La morale et l'action, la publication concomitante du livre de Philippe Legorjus, Ouvea, la République et la morale (Plon) et la polémique grandissante, Jean Bianconi a choisi de s'exprimer pour la première fois,  battant en brèche certains des propos récents tenus par l'ex-chef du GIGN. Pour également, écrit-il, "en finir avec le mythe Legorjus". J'ai choisi de publier les principaux points de ce témoignage, en quatre posts. Voici donc le premier. 


Philippe Legorjus et moi-même avons été retenus prisonniers dans la grotte d’Ouvéa dans la matinée du 27 avril 1988 dans les circonstances suivantes. Envoyé sur place par le Procureur général qui voulait être tenu directement informé des opérations de recherche entreprises à la suite de l’attaque de  la gendarmerie de Fayaoué au cours de laquelle quatre gendarmes étaient tués et 27 autres pris en otage, je rencontrais Philippe Lergorjus au PC du Général Vidal à Gossanah. Après une première tentative infructueuse d’approche de la grotte, suivant la prise en otage du lieutenant Destremeau dans l’après-midi du 26 avril 1988, Philippe Legorjus décidait de revenir sur les lieux le lendemain matin.
Parvenus aux abords de la grotte nous étions accueillis par des coups de feu. Philippe Legorjus essayait vainement d’entrer en contact avec les ravisseurs au moyen d’un porte-voix. Face au blocage de la situation, je demandais à Legorjus de me laisser parler aux Kanaks, prenais le porte-voix et proposais de venir jusqu’à eux pour écouter leurs revendications et amorcer un dialogue avec les autorités. Alphonse Dianou, qui était le chef du groupe de ravisseurs, après quelques hésitations, donnait son accord et autorisait deux anciens de la tribu de Gossanah à me conduire jusqu’à lui. Il demandait qu’à cette occasion de l’eau, dont ils étaient pratiquement privés depuis plusieurs jours, leur soit apportée.
Contrairement à la version donnée par Philippe Legorjus - et reprise dans le film -, cette entrée dans la grotte ne s’est pas faite de ma part de façon spontanée et irréfléchie mais après un dialogue assez long et tendu avec Alphonse Dianou qui nous tenait sous la menace de ses armes. Pour une raison inexpliquée, et à laquelle seul Philippe Legorjus peut répondre, celui-ci décidait brusquement de nous suivre alors que nous étions déjà engagés sur le chemin conduisant à la grotte tout en me disant que c’était « une connerie ». Il prétendra, et écrira plus tard, que son « instinct l’avait poussé à me protéger à tout prix ». Je pense pour ma part que cet homme, à l’ego démesuré, a tout simplement craint de se faire ‘voler la vedette’ d’un premier contact avec les ravisseurs. En voulant imposer sa présence à Alphonse Dianou, en méconnaissance totale de la coutume mélanésienne, Philippe Legorjus a commis une erreur de jugement qui aurait pu être fatale à six de ses hommes. 
(...) Alors que nous étions retenus, menottés à l’entrée de la grotte, à l’écart des autres otages, Philippe Legorjus retournait habilement la situation en sa faveur en exploitant au mieux un incident survenu dans la nuit du 27 au 28 avril. Des coups de feu tirés par des militaires aux abords de la tribu de Gossanah mettaient en émoi  les ravisseurs qui menaçaient de s’en prendre aux otages. Philippe Legorjus déclarait alors à Alphonse Dianou qu’il avait des contacts au plus haut niveau de l’Etat et qu’il pouvait intervenir auprès du général Vidal afin qu’il retire ses troupes positionnées entre la grotte et la tribu de Gossanah. Alphonse Dianou se laissait convaincre et relâchait Philippe Legorjus  qui partait dans la nuit rejoindre le PC du général. Il revenait dans la matinée pour aviser Alphonse Dianou du succès de son intervention auprès du général et lui proposait de poursuivre ses efforts de médiation. Alphonse Dianou acceptait cette proposition et Philippe Legorjus repartait porteur d’un message rédigé à la hâte par moi-même à l’intention de mon ami Frank Wahuzue à qui je demandais de venir sur place et d’intervenir auprès de ses amis indépendantistes pour qu’une solution pacifique soit trouvée (...) De ce jour, et jusqu’à  la libération des otages, Philippe Legorjus ne devait plus jamais revenir à la grotte et n’avait plus, par conséquent, aucun contact personnel et direct avec Alphonse Dianou si ce n’est de façon ponctuelle par radio (...) Après le retrait des troupes à Saint Joseph, où le général Vidal avait installé son PC, la tension s’apaisait quelque peu dans la grotte.
Un va- et -vient quotidien s’instaurait entre la grotte et les gens de la tribu de Gossanah, qui nourrissaient ravisseurs et otages à midi tandis que moi-même me rendais chaque après-midi au PC du général d’où je ramenais, pour tous, médicaments et nourriture pour le repas du soir...




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