Françoise Hostalier « Pour les talibans, la femme, en Afghanistan, est un danger » (1)

L’ancienne secrétaire d’État à l’enseignement scolaire d’un gouvernement Juppé (1995) et députée du Nord, est depuis 2012 présidente du Club France-Afghanistan qu’elle a créé. Dans cet entretien en deux parties, nous tournons avec Françoise Hostalier les pages du livre d’horreur quotidien qui détaille la vie des femmes en Afghanistan.

F. Hostalier, en 2004 dans les ruines de l’école de Maidan Shahr dans le Wardak.(DR)

- Qu’est-ce qu’une femme pour les Talibans ?
Pour les talibans, une femme est un danger, une menace pour la société qu’ils sont en train de construire. Pour eux, il faut faire en sorte qu’elle nuise le moins possible et surtout qu’elle ne risque pas de distraire ou de provoquer les hommes. Ces derniers doivent pouvoir, sans cesse, penser à être de bons musulmans et il ne faut pas leur donner des occasions de s’en distraire. Aussi, les femmes doivent totalement disparaître de l’espace public.

La femme est donc au service de l’homme ?
Oui, elle doit être éduquée dans ce sens dès la plus tendre enfance. D’où l’inutilité de lui donner de l’instruction. Elle doit apprendre à devenir une femme dévouée, une mère et surtout apprendre à obéir à celui qui sera son mari et aux membres de sa belle-famille. Elle devra être soumise, quoiqu’il arrive… En résumé, la femme est une esclave au service de l’homme pour lui apporter le bien-être et des enfants.
Mais cette manière de considérer les femmes n’est pas réservée aux talibans.Toute la société traditionnelle afghane a la même considération de la femme qui subit le joug des règles traditionnelles auxquelles s’ajoutent celles des sociétés islamiques radicales.

- Dès le retour au pouvoir des Talibans, en août 2021, les violations des droits humains des femmes et des jeunes filles se sont progressivement aggravées ?

Oui, ce fut progressif mais néanmoins rapide ! Impossible de faire la liste des près de 145 décrets et circulaires concernant les restrictions de liberté des femmes depuis août 2021*. Les principales étapes sont immédiatement la séparation des hommes et des femmes dans les universités, l’obligation pour les femmes de porter le hijab à l’extérieur ; en 2022, l’interdiction pour les filles de plus de 12 ans d’aller à l’école, l’interdiction de voyager sans un accompagnateur, l’interdiction aux femmes, mêmes accompagnées, de fréquenter les parcs, l’Interdiction totale, en décembre 2022, des universités aux femmes ; à l’été 2023, fermeture définitive de tous les salons et instituts de beauté et salons de coiffure.

Autre phénomène habituel, les arrestations arbitraires ?
C'est le pire. Avec ou même sans raison, les talibans entrent dans les maisons, fouillent, menacent et parfois arrêtent des personnes qui sont emmenées pour être interrogées voire même emprisonnées. Cela concerne des femmes mais aussi des hommes.
Il y a des témoignages de jeunes filles et de femmes qui ont subi des tortures et des viols en prison. On parle de disparitions mais aussi d’avortements… Difficile toutefois d’obtenir des preuves.

- En avril dernier, ce fut également le rétablissement des exécutions par lapidation et la mise en œuvre des châtiments corporels...
Oui, pour les femmes et surtout pour les hommes. Il y a eu plusieurs exécutions publiques d’hommes pour adultère, vol, assassinat. Les châtiments corporels publics sont des coups de fouet. Il n’y a pas encore eu les grands châtiments publics dans les stades comme à l’époque précédente mais cela pourrait bien revenir… 

- La loi « pour la prévention du vice et la promotion de la vertu » qui vient d’être publiée étouffe définitivement les femmes ?
En fait, celle loi reprend de manière ordonnée et détaillée tous les décrets et circulaires qui étaient en vigueur. Par exemple, elle explicite le fait qu’une femme ne doit pas s’exprimer en public, qu’elle ne doit pas parler fort ni chanter ni déclamer de poésie. Elle ne doit pas se parfumer. En fait, la loi énumère et interdit toutes les occasions et possibilités pour une femme de marquer son existence.
La femme doit se couvrir totalement le corps et le visage et ne faire aucun bruit qui marquerait sa présence ; mais cela correspond à ce que l’on voit dans d’autres pays islamistes comme en Arabie saoudite ou parfois en Iran où les femmes portent même des gants…

Cette loi s’adresse aussi aux hommes ?
C'est vrai, elle les obligent à porter la barbe de dimension d’au moins un poing, de ne pas se couper les cheveux, de ne pas porter de vêtement occidentaux, de ne pas fréquenter de non-musulmans... Ils sont également responsables du comportement de leur « cheptel » féminin. Si une femme de leur famille ne respecte pas la loi, ils seront durement sanctionnés. (Suite de l'entretien, demain).

* Pour être plus précis voici un calendrier fourni par Françoise Hostalier

15 août 2021 :

Arrivée des talibans: panique dans tous les milieux intellectuels, des employés des ministères et des administrations. Les femmes se souviennent ! Pendant plus d’une semaine, scènes de terreur à l’aéroport de Kaboul et les femmes commencent à se faire discrètes. Elles ressortent les burkas, elles évitent de sortir, elles ne vont plus travailler. Tout le monde se demande ce qui va se passer mais beaucoup de femmes, surtout celles qui avaient connu l’époque 1994-2001 ne se font pas d’illusion.

12 septembre 2021 :

  • Dans les université, séparation matérielle des hommes et des femmes au moins par un rideau pour les cours qui ne peuvent être donnés que par un professeur de même sexe.

  • Pas de restriction pour la scolarisation des filles. Celles qui sont scolarisées peuvent continuer les cours. Cela durera jusqu’à la fermeture hivernale.

  • Obligation pour les femmes de porter le hijab* à l’extérieur. * morceau de tissu qui entoure la tête et les épaules

23 mars 2022 :

  • Deux jours après la rentrée des classes du 20 mars, interdiction pour les filles de plus de 12 ans d’aller à l’école. Fermeture des niveaux collège et lycée pour toutes les filles qui à ce jours n’ont pas été réouverts. Seules les universités restent accessibles avec les contraintes supplémentaires de ne plus avoir de risque de rencontre entre les hommes et les femmes.

7 mai 2022 :

  • Interdiction aux femmes de paraître en public si elles ne sont pas entièrement couvertes y compris le visage. On voit apparaitre de plus en plus de niqab noir en plus des burkas.

  • Interdiction de voyager sans un marham*. (* accompagnateur masculin de la famille)

Novembre 2022 :

  • Les parcs sont interdits aux femmes, même accompagnées

  • De même que les fêtes foraines, les gymnases, et autres lieux de loisir

  • Interdiction d’accès aux bains publics ce qui est pourtant une nécessité d’hygiène dans un pays où la plupart des maisons n’ont pas de salle de bain

21 décembre 2022 :

  • Interdiction totale des universités aux femmes

24 décembre 2022 :

  • Interdiction aux femmes de travailler pour des ONG internationales et locales. La cause serait que ces organisations ne respectent pas les obligations vestimentaires des femmes et la séparation des sexes. Mais après négociations, il y a eu quelques dérogations notamment dans le domaine médical.

  1. mars 2023 :

  • Réouverture des universités après la période hivernal mais aucune femme n’est admise. A noter qu’il n’y a eu  aucune réaction de la part des étudiants masculins ni des professeurs…

  1. avril 2023 :

  • Interdiction renouvelée faite aux femmes de travailler pour des ONG et des organes de l’ONU, sauf domaine médical très précis.

  1. juillet 2023 :

  • Fermeture définitive de tous les salons et instituts de beauté et salons de coiffure.

Dans les mois qui ont suivi, il y a eu régulièrement des décrets stipulant certaines précisions comme l’interdiction de mettre du rouge à ongle, de se parfumer, de porter des chaussures à talon ou de faire claquer ses pieds,...

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